Comprendre avant d’agir. Agir quand ça compte.

Introduction
La question des ouvertures dominicales revient régulièrement dans l’agenda politique genevois — et avec raison. À l’heure où le commerce local ploie sous la concurrence en ligne, les contraintes transfrontalières et les coûts fixes - sans parler des travaux que connaît notre canton, toute marge de respiration se paie en vie ou mort pour certaines boutiques. Le 30 novembre 2025, Genève a l’occasion de voter une "révision légère" de la Loi sur les heures d'ouverture des magasins (LHOM, modification PL 11715-A), qui pourrait être ce souffle tant attendu. Mais attention : le diable se cache dans les détails. Ce billet décrypte ce projet, ses forces, ses faiblesses, et les conditions à réunir pour qu’il ne soit pas qu’un leurre.
I. Le cadre actuel : contraintes, échecs et signaux forts.
- La LHOM en vigueur conditionnait déjà l’ouverture dominicale (trois dimanches) à une convention collective étendue (CCT) — un mécanisme qui, dans la pratique, n’a jamais pu réellement se concrétiser.
- En novembre 2021, le projet de réforme (Loi 12871) visant à pérenniser trois ouvertures dominicales + prolongation du samedi a été refusé par ~53,9 % des électeurs.
- Les motifs du rejet : crainte pour les conditions de travail, notamment la charge dominicale, et absence de garanties crédibles pour les employés.
- La jurisprudence récente : le Tribunal fédéral a déclaré que la clause conditionnant l’ouverture dominicale à une CCT viole le droit supérieur, et doit être retirée de la LHOM genevoise — signe que le cadre imposé jusqu’alors n’est plus tenable juridiquement.
II. La révision proposée : ce qu'elle change, ce qu'elle maintient.
- La principale modification réside dans l'autorisation d'ouverture de deux dimanches par an (en plus du 31 décembre) sans condition de CCT étendue ; les commerces peuvent employer du personnel le dimanche dans le cadre de l’art. 19 al.6 de la Loi fédérale sur le travail (travail du dimanche) et doivent accorder les compensations d' "usages" du secteur.
- L’article 18A (qui imposait la condition de CCT) est abrogé.
- Le projet prévoit que les dimanches concernés seront fixés après consultation des partenaires sociaux et annoncés en temps utile.
- Le Conseil d’État a proposé un amendement pour supprimer la condition de CCT, estimant que les quorums pour une extension sont inatteignables aujourd’hui.
- A noter que le rapport de la minorité critique le projet : pour ses représentants, ce n’est pas l’extension des horaires qui sauvera le commerce, mais de plus profondes transformations (digitalisation, logistique, différence de prix avec les commerces frontaliers). Ils dénoncent ainsi le risque d’un affaiblissement des droits des salariés, en particulier si le dispositif "usages" ne suffit pas.
III. Pourquoi il faut soutenir ce compromis.
- Un compromis réaliste, pas maximaliste. Le projet n’est pas de libéraliser le dimanche à outrance, mais de donner un "coup de projecteur limité" — deux dimanches par an — dans des moments stratégiques (par exemple avant Noël). Cela permet de répondre à une demande concrète, sans bouleverser l’équilibre social.
- Aligner la loi cantonale avec le droit fédéral et la jurisprudence. La clause de CCT qui figure dans la LHOM est désormais juridiquement fragile selon le Tribunal fédéral. La révision proposée adapte ainsi le droit cantonal à cette nouvelle réalité pour éviter une rupture normative.
- Favoriser l’attractivité sans sacrifier les principes sociaux. Le commerce genevois perd des clients vers la France voisine. Une ouverture dominicale bien choisie peut récupérer une part de cette demande (et du chiffre d’affaires) pour le canton. Mais pour que cette ouverture ne soit pas un "libre pour tous", il faut que les compensations, les dispositions de repos, le volontariat des employés soient scrupuleusement respectés.
- Créer une dynamique de confiance sociale. En acceptant ce compromis, l’économie locale montre sa capacité à innover dans des cadres raisonnés. Cela peut relancer le dialogue entre les associations patronales et les syndicats, remettre le partenariat social au cœur du débat, et préparer de nouvelles réformes structurelles, comme demandées (transports, logistique, zones urbaines dynamiques, etc.).
IV. Attention aux pièges. Les conditions de la réussite.
- Transparence & suivi — Il faudra un mécanisme de contrôle dès la première ouverture dominicale : bilans, retour sur les impacts pour les employés, audit des usages de compensation, etc.
- Encadrement strict du "glissement" — Définir dès le départ que cette mesure n’est pas un "cheval de Troie" pour des ouvertures dominicales généralisées.
- Veiller à l’équité entre petits et grands commerces — La révision devra prévoir des mécanismes de soutien ou d’assistance logistique aux plus petits pour qu’ils puissent profiter de ces deux dimanches s’ils le souhaitent (ex : aides à l’organisation, mutualisation de personnel, sensibilisation).
- Garder une posture exigeante en matière sociale — Si plus tard on réclame davantage de dimanches, alors que le cadre social n’est pas renforcé, cela sera une usurpation.
- Communication claire & pédagogique — Le vote populaire doit comprendre que ce "oui" n’est pas un "oui à tout", mais un "oui conditionné, tempéré, surveillé”.
Conclusion
Le 30 novembre, Genève a l’opportunité d’adopter une réforme pragmatique qui reconnaît les contraintes de notre époque tout en sauvegardant les valeurs sociales que nous partageons.
Le oui est un oui exigeant : que les promesses de compensation, de contrôle et de respect ne soient pas des vœux pieux, mais des engagements concrets. Le vrai test de cette réforme ne sera pas dans le oui ou le non, mais dans ce que nous ferons pour qu’elle soit bien appliquée.